La numérisation de collections constitue toujours une merveilleuse opportunité de découvertes ou redécouvertes de trésors cachés ou oubliés depuis longtemps sous un lit de poussière. C’est ainsi, un peu par hasard, que j’ai été récemment confronté - dans le cadre d’un projet de digitalisation de l'herbier Z + ZT - à un spécimen remarquable de la famille des campanules… Un spécimen qui ne représenterait pas moins que la plus petite plante à fleurs au monde!
Cette découverte exceptionnelle m'a immédiatement rappelé une étude publiée en 2015 par Sylvester et ses collaborateurs dans la revue botanique Taxon et pour laquelle je servais d’éditeur associé. Je pouvais enfin observer ce que j’avais eu un peu de peine à croire lors de ma première lecture du manuscrit! De nombreux spécimens minuscules, ne dépassant pas 3-4 mm de haut et collés patiemment sur un morceau de papier, afin de constituer le spécimen de référence absolue (le fameux "Type") d'une nouvelle espèce appelée Lysipomia mitsyae.
Si l’on y regarde de plus près, on constate que la plante est en fait si petite qu'il n'y a "plus beaucoup de place" pour les feuilles ou les tiges... Seulement une fleur portée par une racine et deux cotylédons persistants ! Dans ces conditions, avec un manque évident de caractères morphologiques diagnostiques, il était extrêmement difficile de classer le spécimen dans une famille botanique (ne parlons même pas d’un genre !), sans l'aide d'outils moléculaires. Aujourd'hui, nous pouvons affirmer avec confiance que la plante mystérieuse appartient au genre Lysipomia des Campanulaceae-Lobelioideae, un groupe relativement fréquent dans les Andes péruviennes, où la nouvelle espèce est passée inaperçue jusqu'en 2012!
Lysipomia mitsyae pourrait-elle représenter la plus petite plante à fleurs ("angiosperme") du monde? Il existe en fait quelques plantes aquatiques au nanisme plus prononcé, telles certaines lentilles d’eau du genre Wolffia (Araceae), mais concernant les formes terrestres, Lysipomia mitsyae n’aurait que très peu de rivales! Parmi les principales concurrentes au poste de Miss Lilliput, on pourrait citer le gui nain (Arceuthobium minutissimum - Santalaceae), un parasite Himalayen des pins, la violette péruvienne (Viola lilliputana - Violaceae) ou des annuelles minuscules telles que Crassula closiana (Crassulaceae) ou Cicendia quadrangularis (Gentianaceae). Fait intéressant, une grande majorité de ces nains végétaux se retrouve surtout dans les prairies d’altitude des Andes, un «hot spot potentiel pour plantes minuscules».
Il n'y a, à ce jour, aucune inscription officielle pour les "records du monde végétal" dans le fameux Guinness Book, et une étude plus approfondie de la littérature est certainement souhaitable avant de décider quelle espèce, s’il en est, peut être considérée comme le plus petit angiosperme terrestre. Une chose est sûre cependant: Lysipomia mitsyae est indiscutablement le membre le plus petit de la famille des campanules, un groupe de plantes étonnant qui contient également de véritables arbres!
Guilhem Mansion
Bibliographie
Sylvester, SP; Quandt, D; Ammann, L; Kessler, M (2016). The world's smallest Campanulaceae: Lysipomia mitsyae sp. nov. Taxon, 65(2):305-314.
Specimen concerné
Lysipomia mitsyae Sylvester & D.Quandt, sp. nov. – Holotype: PERU. Cuzco, Provincia Calca, Distrito Calca, grazed ground below the SW facing crags of the Laguna Yanacocha, 1.5 km E of Cancha Cancha village, Huarán, 4340 m, 13°14′28.4″S, 72°01′16.8″W, 27 March 2012 (flowers and fruits), S.P. Sylvester 1417 (USM No. USM285670; isotypes: Z+ZT, barcode Z-000099206).